Pour comprendre la situation dans le canton de Fribourg, j’ai eu le privilège de déposer un postulat avec ma collègue Daphné Roulin demandant au Grand Conseil d’engager le Conseil d’État à réaliser une étude visant à évaluer les différences de traitement, financier et sociétal, entre les couples concubins et mariés, ainsi que de proposer des pistes pour corriger les potentielles inégalités.

Lien vers le postulat

Voici un article de décryptage pour mieux cerner les enjeux.

Le 4 mai 2018, Le Temps titrait « En Suisse, la famille n’est pas à la fête ». Le journal revenait sur une enquête menée durant 5 ans au niveau national. Le constat est sans appel : en Suisse, faire des enfants, c’est plutôt l’ « enclume » et pour ce qui est de l’égalité hommes-femmes sur le plan parental, on frise le naufrage.

En matière familiale, la Suisse est à la traîne de l’Europe. La nouvelle ne fait pas plaisir, mais elle est incontestable: alors que la France compte 60% d’enfants nés hors mariage, la Suisse n’en compte que 25%. Et alors, direz-vous, qu’y a-t-il de mal à ce que les Suisses choisissent de s’unir pour se reproduire? «Le problème, c’est qu’ils n’ont pas le choix», répond Clémentine Rossier, chercheuse associée à l’Université de Genève. «Les institutions politiques et la réalité économique de notre pays imposent cette option conservatrice. C’est bien simple: soit les Suisses se marient pour avoir des enfants et, dans ce cas, la mère reste beaucoup à la maison, soit ils n’en ont pas.

A ce sujet, le Conseil fédéral écrit en 2015 déjà (réponse au postulat 12.3607), que la « mutation à laquelle la société est soumise depuis quelques dizaines d’années a créé un clivage entre les formes de vie commune, d’une part, et le droit de la famille d’autre part ». Comme l’écrit très justement Andrea Caroni (PLR) dans son postulat 15.3431 déposé en mai 2015 au Conseil national, « le mariage a longtemps été, sans conteste, la forme d’union la plus répandue, [mais aujourd’hui], un nombre croissant de couples – avec ou sans enfants – vivent […] ensemble sans être mariés. »

Le 26 septembre 2021, le peuple suisse a plébiscité le mariage pour tous, qui reconnaissait à tous les couples, hétérosexuels comme homosexuels, le droit à se marier. Nous pouvons nous féliciter de cette avancée historique, le projet ayant trouvé un soutien massif à droite comme à gauche, permettant ainsi de convaincre 64,1% des électeurs. Mais qu’en est-il des couples qui ne veulent pas se marier ?

Aujourd’hui, une forte proportion de personnes préfère vivre leur couple sous la forme dites de l’« union libre » ou du concubinage. Cette forme, très répondue en Suisse (25%), permet d’entretenir des liens forts, d’élever des enfants ou de construire un avenir commun. En revanche, faute de cadre légal, elle peut également mettre les partenaires dans une certaine détresse administrative et financière, surtout quand cela tourne mal.

Il est répandu au sein de la population qu’il est plus « facile » d’élever des enfants en étant marié. Il est également populairement admis qu’une femme est mieux protégée lorsqu’elle est mariée, ce qui interpelle sur la place que l’on donne à la femme dans notre société. Cette perception du mariage pousse de nombreuses personnes à se marier, non par amour, mais par précaution. Par exemple, les chiffres démontrent (voir dans le développement) une propension certaine au mariage lors de l’arrivée du premier enfant dans un couple vivant en union libre. Dès lors, nous ne pouvons pas vraiment parler d’un choix pour les couples, puisque tout est fait pour faciliter la vie aux couples mariés, mis à part peut-être l’imposition fiscale dans certains cas et la rente AVS.

Comme le souligne le bureau cantonal pour l’égalité hommes-femmes, il existe un vide juridique dans le code civil suisse puisque le concubinage n’est pas reconnu légalement, au contraire du mariage. Cependant, le canton se permet d’additionner les revenus des concubins dans certaines situations, notamment quand il s’agit de payer les crèches ou de percevoir des subsides pour l’assurance-maladie. Pour les motionnaires, il s’agit de corriger cette situation : soit les couples en union libre sont reconnus à part entière, soit ils ne le sont pas, dans toutes les situations. La situation actuelle engendre inévitablement le « clivage » relevé plus haut par le Conseil fédéral entre les couples réglementés/mariés et les couples hors la loi/en union libre.

La situation des couples en Suisse

En 2020 et malgré l’augmentation démographique, l’OFS estimait que le nombre de mariage était plutôt stable (env. 40’000 mariages par année) : si en 1970, on fêtait encore près de 8 mariages pour 1000 habitants, cette statistique est divisée par deux en 2020 alors que la population a augmenté de 40%. De plus, 4 mariages sur 10 se terminaient en 2020 par un divorce (2x plus qu’en 1970) et que 1 mariage sur 2 était une primo nuptialité, ce qui veut dire que non seulement on se marie moins, mais qu’une grande partie de ces mariages sont des remariages. Si on part du principe qu’il y a une certaine constance dans la volonté de tout un chacun de former un couple, ces quelques chiffres nous permettent d’affirmer que le nombre de mariage s’effrite d’année en année au profit d’un nouveau modèle de couple : l’union libre.

En 2019, l’OFS estimait que 76,6% des couples, toutes tranches d’âge confondues, vivaient en régime matrimonial plutôt qu’en union libre (23,4%). Si les couples constitués de personnes plus âgées ont tendance à être systématiquement mariés (93% des 65-80 ans), près d’un couple sur deux de la tranche d’âge des 24-34 ans préfère une union non réglementée par le mariage (54% sont des couples mariés).

En 2018, il est pertinent d’observer également qu’entre 25 et 45 ans, les personnes sans enfant se marient moins facilement, mais qu’elles changent allègrement d’avis dès l’arrivée du premier chérubin. De là à déduire que les jeunes gens ne se marient pas forcément par conviction mais potentiellement pour mieux subvenir aux besoins des enfants, il n’y a qu’un pas (que je franchis allègrement).

Dans Le Temps du 4 mai 2018, on apprend que 60% des enfants français naissent hors mariage, mais qu’en Suisse, cette proportion passe à 25%. Pourquoi ? D’après Clémentine Rossier, chercheuse associée à l’Université de Genève, la raison est simple : c’est « parce que les parents n’ont pas le choix ».

Quelque 75% des parents d’enfants de moins de 25 ans sont mariés. Dans les 25% de ménages restants, on trouve une constellation de situations, dont 12% de familles monoparentales. Le nombre de parents en union libre? Il est de 4,8%. C’est très peu. Et ce qui est troublant, c’est que lorsqu’on demande à ces parents s’ils sont satisfaits de la vie qu’ils mènent, les résultats sont négatifs, alors qu’ailleurs en Europe, les concubins sont aussi épanouis que les couples mariés. (Clémentine Rossier, Le Temps, 2018)

Dans ce même article, la chercheuse nous apprend que la propension à se marier pour les femmes est potentiellement provoquée par le système suisse encore largement inégalitaire : « le mariage garantit aujourd’hui la sécurité financière de la femme ». Encore une fois, nous sommes dans un reliquat du système conservateur suisse hérité du XIXe siècle.

Références :

 
 

La situation des couples dans le canton de Fribourg

L’annuaire statistique du canton de Fribourg 2022 nous apprend que 56% des naissances en 2020 sont le fait de mères non-mariées, alors que ce ratio tombait à 4% en 1950. Nous pouvons également observer que 35% des enfants en 2020 font l’objet d’une reconnaissance en paternité. Le taux de nuptialité est d’ailleurs de 3,6 pour 1000 habitants dans le canton de Fribourg en 2020, ce qui est légèrement inférieur à la moyenne suisse (4/1000 habitants). Tous ces chiffres nous indiquent qu’un grand nombre de naissances se font aujourd’hui hors mariage.

Néanmoins, nous devons pondérer ces chiffres avec la typologie des ménages : on découvre que les couples mariés représentent 84% et les couples en union libre 16% (76,6% et 23,4% en moyenne helvétique). (p.56) Cela démontre sans aucun doute que l’on fait facilement des enfants hors mariage à Fribourg, mais que l’on se marie rapidement, sans doute pour les questions citées plus haut.

Le concubinage au niveau suisse

La loi considère les partenaires en union libre comme deux individus distincts et non comme un couple. Cela signifie notamment que :

  • Les partenaires ne peuvent pas prendre le nom de famille de votre partenaire.
  • Chaque membre du couple doit remplir sa déclaration d’impôt individuellement.
  • Si un partenaire achète une maison à son nom, l’autre concubin n’aura aucun droit sur cette habitation.
  • En cas de séparation, aucun partenaire ne pourra revendiquer un droit à une contribution d’entretien, même si l’un ou l’autre des partenaires a réduit ou renoncé à son activité lucrative durant sa vie commune pour s’occuper des enfants communs ou du ménage.
  • En cas de séparation, aucun partenaire ne pourra revendiquer un droit auxcotisations AVS payées par son ancien partenaire durant votre vie commune.
  • Légalement, aucun des partenaires n’est obligé d’aider (par exemple en cas de maladie) ou d’entretenir son partenaire. Dans certains cas, toutefois, la situation financière du partenaire peut jouer un rôle (par exemple dans le domaine de l’aide sociale ou pour les procédures d’exécution).
  • Au moment de prendre sa retraite, chaque partenaire recevra 100 % de sarente AVS, contrairement aux couples mariés ou en partenariat enregistré, qui n’ont droit qu’à une rente globale équivalant à 150 % de la rente maximum.
  • En cas de décès, le partenaire ne fait pas partie des héritiers légaux. À la mort de l’un des partenaires, l’autre n’hérite donc pas automatiquement de ses biens. Chacun d’entre eux peut, en revanche, désigner l’autre comme bénéficiaire par testament. Mais attention, même si l’un désigne l’autre comme bénéficiaire par testament, les héritiers légaux ont droit à une partie de l’héritage.
  • Les concubins n’ont pas droit à une rente pour survivant del’AVS. Cependant, il est possible que le règlement de la caisse de pension (2e pilier) prévoie une indemnité pour le partenaire survivant.

Référence : https://www.ch.ch/fr/famille-et-partenariat/mariage–concubinat–partenariat/concubinat/

 

L’union libre (ou concubinage) dans le canton de Fribourg

Le bureau de l’égalité hommes-femmes et de la famille décrit l’union libre comme juridiquement problématique.

Le droit suisse ne contient aucune règle spécifique concernant l’union libre. La jurisprudence se refuse à appliquer les règles prévues pour le mariage, estimant que la concubine et le concubin ont choisi volontairement d’éviter ces règles.

Ce vide juridique laisse aux couples vivant en concubinage une grande liberté d’organisation, par exemple celle de définir les besoins de leur union, mais suscite aussi de grands problèmes lorsque l’union libre cesse, soit pour devenir une union conjugale, soit pour cause de séparation ou de décès.

En application de l’adage « mieux vaut prévenir que guérir », il est conseillé aux concubins de définir les règles de leur union, ainsi que de leur éventuelle séparation, au besoin à l’aide d’un-e professionnel-l-e du droit.

Comme décrit plus haut, ce vide juridique peut être partiellement comblé par un contrat de concubinage, mais celui-ci permet uniquement de décrire la répartition et la rémunération des tâches domestiques par exemple, mais ne donne aucun droit en cas de décès ou de séparation.

Lors de la naissance d’un enfant, la mère reçoit l’autorité parentale exclusive. Il est possible de demander l’autorité parentale conjointe, mais uniquement si le père reconnaît l’enfant, ce qui est souvent perçu douloureusement par le père comme une forme d’adoption de son propre enfant.

A contrario, il est intéressant d’observer que les concubins, bien qu’ils ne soient pas reconnus par la loi, sont assimilés à des conjoints uniquement quand il s’agit de diminuer certaines aides de l’État ou des communes pour notamment le prix pour les crèches des enfants (du couple ou non), les réductions des primes d’assurance-maladie ou les avances des contributions d’entretien. 

Dans le canton de Fribourg, le concubinage n’est donc pas reconnu en tant que tel, bien qu’il représente une partie significative des ménages à deux partenaires. De plus, pour sortir de cette précarité administrative induite par le concubinage, un grand nombre de couples préfèrent se marier, plus par obligation ou par nécessité, que par envie.

Référence : https://www.fr.ch/sites/default/files/contens/bef/_www/files/pdf66/Diffrents_aspects_juridiques_union_libre_20141.pdf

 

Qu’en dit le droit suisse ? Un exemple parlant.

S’il n’existe pas dans le droit suisse une désignation claire du concubinage, nous pouvons citer en exemple un arrêt du 2 juin 2016 de la IIe cour de droit civil, qui s’appuie sur différentes jurisprudences en la matière.

Dans cette affaire, il s’agissait de trancher si une rentière AVS avait encore le droit à sa contribution d’entretien, compte tenu de l’évolution de sa situation puisqu’elle faisait maintenant ménage commun avec un nouveau compagnon. Comme il a été constaté que la rentière entretenait une relation stable avec son compagnon depuis plus de 5 ans, le TF a donc suspendu le droit à la rente.

Si la décision du TF semble tout à fait justifiée sur le fond, nous devons néanmoins constater que la rentière est considérée ici de manière équivalente à une personne mariée, mais par contre, en cas de décès de son compagnon, elle n’aura droit ni à une rente de veuve, ni à un héritage. Si elle devait se trouver malade, son compagnon aurait également le droit de disparaître sans la soutenir dans cette épreuve.

Nous pouvons encore une fois constater qu’il y a deux poids, deux mesures, où l’on peut être à la fois un couple d’union libre reconnu comme un couple marié, mais également une union inexistante vis-à-vis de la loi.

Mais cette situation n’est pas une fatalité : d’autres cantons par exemple ont décidé de légiférer et d’offrir une véritable alternative au mariage. C’est le cas des cantons de Neuchâtel et Genève.

Référence : (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2F02-06-2016-5A_373-2015&lang=fr&type=show_document&zoom=YES&)

 

Présentation des partenariats cantonaux des cantons de Genève et Neuchâtel (extrait tiré du rapport du Conseil fédéral : Etat des lieux sur le concubinage en droit actuel – Un PACS pour la Suisse ?)

Dans les cantons de Genève et de Neuchâtel, les couples qui ne souhaitent pas se marier ou conclure un partenariat enregistré (de droit fédéral) peuvent néanmoins obtenir une reconnaissance officielle de leur union au niveau cantonal. Le partenariat cantonal n’implique pas de changement d’état civil des partenaires et déploie seulement des effets de droit public cantonal.

Le partenariat cantonal genevois (Pacs) permet aux couples (homosexuels ou hétérosexuels) de faire reconnaître leur vie commune et leur statut de couple. Les personnes qui remplissent les conditions fixées par la loi peuvent remplir le formulaire de demande en vue du partenariat cantonal et l’envoyer à l’Office de l’état civil. Après avoir vérifié́ que les conditions pour recevoir la déclaration de partenariat cantonal genevois sont réalisées, l’Office prend contact avec les partenaires et fixe un rendez-vous pour la signature des déclarations. Une comparution personnelle est donc nécessaire. A cette occasion, la déclaration des partenaires est consignée dans un certificat de partenariat, dont un exemplaire original est remis à chacun d’entre eux.

Le certificat atteste le caractère officiel du partenariat et le droit pour les partenaires d’être traités de manière identique à des personnes mariées dans leurs relations avec l’administration publique genevoise (par exemple concernant les dispositions applicables au droit de refuser de témoigner et à la fonction publique), à l’exclusion de la taxation fiscale et de l’attribution de prestations sociales, à moins qu’une norme de droit public n’en dispose autrement. Le service d’état civil et de légalisations tient un registre cantonal du partenariat. Le partenariat peut être résilié́ par déclaration commune ou unilatérale de l’un des partenaires faite devant un officier ou un collaborateur d’état civil de l’arrondissement d’état civil du domicile de l’un des deux partenaires. A défaut de domicile dans le canton de Genève, la déclaration de résiliation peut avoir lieu dans l’arrondissement d’état civil qui a reçu la déclaration de partenariat. Enfin, le partenariat est dissous d’office si l’un des partenaires ou les deux se lient en partenariat enregistré ou se marient.

Dans le canton de Neuchâtel aussi, les couples (homosexuels ou hétérosexuels) ont la possibilité́ de faire reconnaître leur vie commune et leur statut de couple au niveau cantonal en concluant un partenariat enregistré. La déclaration de partenariat est reçue en la forme authentique par un notaire habilité à instrumenter dans le canton, après vérification que les conditions pour recevoir la déclaration de partenariat sont remplies. Le notaire requiert d’office l’inscription de la déclaration du partenariat à la chancellerie d’État, qui tient un registre cantonal des déclarations de partenariat et qui délivre aux partenaires une attestation unique d’inscription au registre cantonal. Les partenaires sont traités de manière identique à des personnes mariées dans tous les domaines ressortissants au droit cantonal. Le partenariat enregistré aura ainsi principalement des effets sur le droit de visite à l’hôpital, le droit des impôts sur les successions et sur les donations entre vifs, le droit de refuser de témoigner et la règlementation de la Caisse de pensions de l’État de Neuchâtel. Le partenariat prend fin par la radiation de son enregistrement – dont la demande peut être faite par requête commune ou unilatérale – au registre des partenariats. Il est à noter que les partenariats enregistrés conclus à l’extérieur du canton (dans le canton de Genève ou à l’étranger, par ex. PACS) sont reconnus, à savoir qu’ils déploient les mêmes effets qu’un partenariat enregistré neuchâtelois.

Référence : https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/70845.pdf