Prendre position en politique : l’exemple de l’éolien, de l’énergie et de la biodiversité dans le Canton de Fribourg

Eh vous, les écolos ! Vous voulez protéger la nature mais poser des éoliennes dans des forêts, ça ne vous pose pas de problème !!!
C’est en substance ce que l’on m’écrit régulièrement ou que l’on me dit au détour de mes rencontres, et en particulier depuis le dépôt du mandat 2023-GC-172, cosigné par 10 député.e.s de tous les horizons politiques et demandant la promotion et le développement des infrastructures d’énergies renouvelables.
En vérité, c’est bien plus compliqué que voudrait le laisser croire ce sophisme d’opposition qui ne saurait prendre en compte l’entier d’une réflexion et d’une pratique politique réfléchie de la majorité de mes collègues du Grand Conseil. Laissez-moi prendre le temps de développer ici une démarche politique personnelle qui doit se comprendre dans son intégralité et non se focaliser sur quelques raccourcis.
Un instrument parlementaire permet de visibiliser une question, de thématiser et souvent de débattre. J’ai parfois soutenu un instrument parlementaire pour pouvoir en discuter en plénum sans en soutenir forcément l’idée. Mais le système permet de débattre et de trouver un équilibre entre les idées : le fameux consensus helvétique et j’y suis attaché.
L’éolien est un sous-thème d’un plus grand thème qui est l’approvisionnement énergétique. Revenons sur les sous-thèmes de ce mandat et ce qu’il demande exactement.
- Le photovoltaïque ne progresse pas suffisamment : tous les toits du canton devraient être recouverts d’ici 2035 de panneaux solaires indigènes. Problème : Nous ne produisons pas suffisamment de panneaux solaires, les subventions ne sont pas assez élevées et nous n’avons pas la main-d’œuvre nécessaire pour effectuer le travail. Le photovoltaïque prend du retard et le Conseil fédéral semble privilégié l’implantation de grands champs dans les Alpes plutôt que de forcer les entreprises à couvrir leurs toits, sans compter les fournisseurs d’électricité qui ne joue pas toujours leur rôle en couvrant qu’une partie des toits des propriétaires ou en ne dopant pas le réseau existant pour recevoir le courant produit par les particuliers. Le mandat 2023-GC-172 demande au Conseil d’État de définir une stratégie adaptée aux nouveaux défis et d’aller de l’avant avec ce dossier. Comment ? Et bien c’est la stratégie qui nous le dira.
- L’hydroélectricité pourrait être une piste forte intéressante, notamment avec une déviation des eaux entre Schiffenen et Morat. Mais le projet s’enlise depuis 10 ans et le mandat 2023-GC-172 demande au Conseil d’État d’avancer pour que ce soit réalisé avant 2035.
- La géothermie profonde est une excellente opportunité pour le canton, bien que cette technologie soit souvent économiquement hasardeuse et qu’il y ait un risque pour les nappes phréatiques et la stabilité sismique. Néanmoins, si l’État envisage de faire une étude poussée du sol du canton (env. 3-500M), nous pourrions produire beaucoup de chaleur tout en diminuant les risques. Le mandat 2023-GC-172 demande au Conseil d’État d’avancer avec cette prospection et de soutenir financièrement une étude du sol.
- L’hydrogène permettrait également de diminuer la production de CO2 indigène et de faire fonctionner par exemple des camions, voire à terme des voitures de tourisme. Le Groupe e mène actuellement un projet pilote, mais sans l’aide de l’État, nous n’arriverons pas à opérationnaliser cette technologie à grande échelle. Le mandat 2023-GC-172 demande au Conseil d’État de proposer des pistes pour pousser cette technologie.
Et puis, il y a l’éolien. Actuellement, ce que l’on retient de l’éolien, c’est surtout la gestion discutable du Plan directeur. Ce dossier a été, selon ma compréhension, extrêmement mal géré par le Canton de Fribourg en laissant la main à une entreprise privée qui ne semble pas, toujours selon la compréhension que j’en ai aujourd’hui, avoir fait passer les rendements énergétiques après ses propres rendements économiques.
Découvrez ici la présentation officielle du potentiel éolien dans le Canton de Fribourg.
C’est pour cela que j’ai cosigné un mandat demandant de faire toute la lumière sur cette affaire (2022-GC-63). Normalement, ce mandat sera traité au mois de septembre 2023 au Grand Conseil.
Dans ce contexte, il n’est pas question aujourd’hui d’être pour ou contre l’éolien, puisque nous ne savons pas si cette technologie est adaptée à notre canton. Je veux cependant avoir une connaissance suffisante pour dire si le plan actuel est pertinent ou non. Et comme le plan semble avoir été mené de manière discutable, le mieux serait maintenant de faire la lumière sur toutes les zones d’ombre.
Mais si l’aspect administratif et de gestion du projet laisse à désirer, je fais le choix de le séparer des aspects de potentiel éolien.
Les opposants à l’éolien prétendent, sans doute à raison, qu’il n’y a pas suffisamment de vent sur les sites retenus. Nous sommes embourbés politiquement dans ce plan directeur avec un bras de fer entre le Conseil d’État qui campe sur ses positions et les opposants sur les leurs. À un moment donné, le Grand Conseil, puis la population, devra trancher et pour ce faire, il faut avoir des données fiables. Prendre position aujourd’hui, avec le dossier qu’on a, serait une faute politique grave. Actuellement, la méthode la plus probante est de poser des ballons pour évaluer le potentiel (qui a quand même été pour le moment identifié grâce à l’Atlas des vents, ce qui est bien, mais peut-être pas suffisant).
Concrètement, que demande le mandat :
Nous demandons de poser des mâts de mesure sur l’ensemble des sites présents au Plan directeur cantonal afin de mesurer concrètement la quantité de vent sur ces sites pour pouvoir déterminer ensuite si l’implantation d’éoliennes est appropriée ou non, compte tenu de la quantité de vent. Nous demandons d’examiner par des mâts de mesure d’éventuels autres sites non présents dans le Plan directeur cantonal, par exemple sur demande des communes concernées, afin d’élargir les zones pouvant potentiellement accueillir les infrastructures éoliennes.
Les députés, de tous bords politiques, veulent pouvoir se positionner concrètement dans ce dossier pour pouvoir prendre une décision raisonnée. Sinon, où serait la démocratie ?
Les opposants à l’éolien prétendent qu’il n’y a pas assez de vent. La pose des mats leur donnera sans doute raison et c’est très bien ainsi. Nous pourrons à ce moment aller de l’avant en sélectionnant d’autres sites pertinents avec des communes motivées.
Reste maintenant la question de la biodiversité. La Loi climat cantonale a tenté de ne pas opposer la décarbonisation du canton avec sa biodiversité. Les VERT-E-S, mais pas que, ont défendu cette position forte, mais en vain. Nous allons bientôt (je l’espère) travailler sur la stratégie cantonale pour la biodiversité et nous allons la rendre la plus forte possible pour que les atteintes au paysage, aux biotopes, à la faune et à la flore, soient encadrées de manière drastique. Mais, nous l’avons vu dans la Loi climat, la droite fait tout pour affaiblir des mesures qui nous semblent minimales pour réaliser les objectifs de Paris et ralentir la perte de la biodiversité en Suisse. Nous craignons que cela se reproduise dans la stratégie cantonale pour la biodiversité. Le parlement de majorité bourgeoise est fortement opposé à des progrès dans ce domaine-là et estime que toute limitation au travail de la terre par exemple est une hérésie (ce qui est faux bien entendu).
En conclusion :
- Politiquement et au niveau du Grand Conseil, nous ne pouvons actuellement que demander au Conseil d’État de revoir sa stratégie pour l’éolien et cela est possible seulement en prouvant que les emplacements sont mauvais, d’où la nécessité de poser des mats. En étant que député, je me dois de respecter les institutions et les principes de notre démocratie, même si c’est parfois mal interprété (ce sont les risques du métier). Mais d’autre fois, cela profite aux idées que je défends.
- Continuez à lutter pour que les communes puissent jouir de plus de pouvoir notamment pour l’aménagement de leur territoire, mais pas seulement pour l’éolien. Dommage que les syndics des communes font tout au Grand Conseil pour que les communes s’impliquent le moins possible dans les grands défis climatiques et de biodiversité (Cf les échanges durant la loi climat).
- Tout faire pour que la stratégie cantonale pour la biodiversitésoit suffisamment forte pour empêcher des projets qui mettraient en danger la faune et la flore, comme des éoliennes dans des forêts par exemple.
Pour finir, je soutiens bien entendu toute position qui vise à promouvoir la biodiversité, mais également, et c’est là le credo des VERT-E-S notamment, tout engagement citoyen permettant de réduire la consommation d’énergie et la production de gaz à effet de serre. Chacun doit jouer son rôle et j’engage chaque personne, chaque connaissance, chaque voisin.e à faire tout son possible pour réduire sa consommation d’électricité, de chauffer en hiver au minimum, de choisir un véhicule peu polluant et de réduire ses déplacements au strict minimum, d’isoler sa maison, de diminuer ses apports caloriques aux recommandations de l’OMS, de manger des produits locaux et de favoriser une viande locale dans des quantités raisonnables, ne plus prendre l’avion et favoriser des vacances reposantes et culturellement enrichissantes à porter de train, de streamer le minimum possible et de préférer lire des livres, d’aller au théâtre ou à l’opéra, faire du sport dans la nature, être heureux avec ce qu’on a, boire une bouteille de vin du Vully avec des amis, réparer ses affaires et acheter le moins d’habits possible,…
Ces quelques propositions sont selon moi aucunement néfaste pour l’économie des uns et le bonheur des autres, mais elles nous permettraient de diminuer une part substantielle de notre énergie et de notre empreinte. Ainsi, la question des éoliennes ne se poserait pas.
Pendant ce temps, Cointrin enregistre une fréquentation record, les réseaux sociaux semblent promouvoir des valeurs ultraconsuméristes à nos enfants et les forêts primaires sont rasées pour planter des palmiers à huile afin de concevoir des plats de grande distribution toujours moins chers.